Jeff Nichols, originaire de Little Rock, Arkansas, s’affirme comme l’une des nouvelles donnes du cinéma américain. Savante hybridation de Malick et de Spielberg (sans jamais se réduire à ces lourdes filiations électives) il est à la lisière du grand cinéma indépendant américain et du cinéma industriel hollywoodien. Shotgun Stories avait marqué par l’humble maîtrise de sa mise en scène, par sa capacité à revenir aux mythes fondateurs de l’Amérique et à en saisir à la fois le territoire et le paysage. On pouvait y voir un « folk cinema », dans la lignée des grands paysagistes américains, de John Ford au Terrence Malick de Badlands. On y découvrait également un acteur magistral, Michael Shannon, dont la grâce marmoréenne faisait penser à une espèce de Christopher Walken « redneck ».


On retrouve toutes ces qualités (Michael Shannon compris) dans Take Shelter ; mais l’art de l’Americana se trouve « déréglé » par les codes du film de genre, et plus précisément ceux du film catastrophe à tendance fantastique. Si les affres du couple après le mariage et la « parentalité » sont le vrai sujet du film, Nichols inscrit ce drame intimiste dans l’assourdissante démesure de ciels crachant la colère des dieux (une forme d’« intimité spectaculaire » qui peut rappeler Rencontres du troisième type).


Il y a au moins quatre raisons d’aimer Take Shelter : esthétique (la force instantanée des visages et des paysages, l’usage poétique des effets spéciaux), dramatique (comment l’amour d’un couple peut-il résister aux épreuves de la vie – fussent-elles « intérieures » ?), historique (la manière dont Nichols hérite et dénature d’un même élan toute une tradition du cinéma américain), économique (la place frontalière qu’il occupe dans le système hollywoodien).