« Entre Suzanne et Un poison violent, même si des choses ont changé dans ma vie (je suis devenue mère), je ressens une vraie continuité, à travers leur thématique : l'amour comme déclencheur d'une émancipation, les relations entre l'idée dominante de la famille et celle de la liberté …
Avec Mariette Désert, ma co-scénariste, on rêvait de construire un récit sur plus d'une vingtaine d'années, une saga romanesque sur le thème du destin, qui progresserait au moyen d'ellipses très franches. Nous avions en tête plusieurs films, notamment Il était un père d'Ozu, Au hasard Balthazar de Bresson, Baptême de René Féret. J'ai découvert récemment Tendres passions de J. L. Brooks … Il aurait pu être notre film de chevet ! J'ai aussi une passion pour les biopics américains. Suzanne est le biopic d'une inconnue qui se fonde non pas sur la causalité (l'influence des grands traumas de l'enfance sur les destinées humaines … ) mais sur la puissance du hasard et du mystère dans nos vies. Ce pari narratif était absolument passionnant quoique risqué pour la mise en scène. Quel évènement de la vie de nos personnages serait montré ou au contraire caché, pour mieux en révéler l'importance ? Comment surprendre le spectateur, le rendre le plus actif possible, comme si c'était à lui de combler les creux du récit à partir de sa propre expérience de vie ?
Le personnage de Suzanne imposait beaucoup de pudeur dans l'interprétation. Sara Forestier est une très grande actrice, d'une intensité rare. J'étais certaine que si je parvenais à diriger ce faisceau d'énergie qui émane d'elle vers l'intérieur, plutôt que vers l'extérieur, le résultat serait incroyable. La maturité émotionnelle de cette jeune femme de seulement 25 ans m'a fascinée Elle pouvait tout exprimer, la violence de la passion amoureuse, la douleur du deuil, les joies de la maternité. Comme si elle avait déjà eu cent vies. »