À propos de Nisam je stigao voljeti (I Didn't Make It To Love Her)
par Thomas Fouet
par Thomas Fouet
Il y a, au cœur de ce film d'une maîtrise insigne, la figure bouleversante d'une jeune femme qui existe dans toute sa souffrance sans toutefois se résumer à elle – et, adossée à cette souffrance, une tendre façon d'envisager l'écriture, la poésie, comme élégie et posologie à la fois, correspondance comblant les blancs d'une conversation qu'on devine endommagée. Et qui rappelle cette évidence : on n'écrit jamais à une foule, et toujours à un individu qu'on a élu parmi elle.
Entretien avec Anna Fernandez de Paco
“Plusieurs éléments m’ont amenée à vouloir faire ce film. La source initiale d’inspiration a sans doute été l’ambiance mélancolique de Sarajevo, et son architecture qui m’ont touchée personnellement quand j’y vivais. Je voulais que le film soit atemporel, mais j’y ai laissé une lucarne sur une période de l’ex-Yougoslavie. Les spectateurs peuvent voir l’architecture du quartier construit pour les Jeux olympiques de Sarajevo en 1984 et l’appartement qu’on a utilisé pour les scènes intérieures appartenait à un architecte yougoslave. Ce n’était pas qu’un simple choix esthétique, dans le film je souhaitais préserver au moins deux choses de ce monde en voie de disparition. Un autre moment décisif dans le développement de ce film a été quand mon mentor, Béla Tarr, m’a suggéré de faire une adaptation du poème Le Corbeau d’Edgar Allan Poe. Mais je voulais une connexion plus directe avec Sarajevo et faire un film plus personnel. Cependant, ça m’a donné l’idée de travailler avec un poète local, Marko Tomaš.
Je voulais explorer cette relation proche, réciproque, et cependant très vague, entre l’espace et les émotions des personnages du film : un poète, Marko, sa compagne, Maja, et Sarajevo. Dans le film, on peut voir la distance entre les deux personnages, et pour développer cette idée, j’ai choisi de représenter les moments entre les conversations que nous ne voyons jamais. Cette narration photographique autour du désespoir se déploie aussi à travers la poésie de Marko que nous découvrons alors que Maja l’écoute à la radio. J’ai choisi de faire le portrait d’un couple qui rencontre des difficultés dans leur relation et qui espère rétablir cette relation en déménageant. Mais le déménagement n’aide pas ; au contraire, ils se fondent dans l’atmosphère mélancolique de Sarajevo. »