À propos de Il pleut dans la maison
par Perrine Quennesson
par Perrine Quennesson
Entretien avec Paloma Sermon-Daï
Entre votre court métrage Makenzy, votre documentaire Petit Samedi et Il pleut dans la maison, il semble y avoir une véritable continuité…
Tout à fait. Je voulais continuer à explorer un peu ce terreau wallon, si je peux m'exprimer ainsi. Mon court métrage de fin d'études Makenzy et mon documentaire Petit Samedi ont été tournés dans la région dans laquelle j'ai grandi, à Sclayn. Dans le premier, je suivais l’enfance de mes personnages puis, dans le second, la vie d'adulte. Pour mon passage à la fiction, j'avais envie de travailler sur l’adolescence. Mais même si je travaille de manière assez hybride - par exemple, dans mon documentaire, j’assumais complètement une succession de mises en scène - je gardais tout de même une certaine frustration. Petit Samedi est vraiment un film de famille qui nécessitait beaucoup d’éthique et de respect vis-à-vis de la parole de ma mère et de mon frère. C’était comme un garde-fou pour eux et moi. Cependant j’avais envie de livrer plus de moi-même, ce que permet la fiction. Il pleut dans la maison c’est un mélange entre mon adolescence et celle de mes acteurs. On partage cette même adolescence wallonne mais je pense qu’avec le documentaire, je n'aurais pas eu une telle liberté.
Vous le disiez, vos deux premiers films étaient tournés à Sclayn, ici nous sommes au Lac de L’eau d’Heure. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer cette partie-là de la Wallonie?
Parce que je n'avais pas très envie de retourner au village. Pour me protéger, mais aussi pour protéger mes acteurs, Makenzy et Purdey Lombet, car, comme il n’y a rien à y faire, on a toujours plein de monde autour. Et j'avais envie de les emmener ailleurs, de les emmener dans le récit. Il était nécessaire de faire une séparation entre leur quotidien et le quotidien des personnages. Et le lac de L’eau d’Heure, quand on est wallon, c'est vraiment un lieu où l’on va régulièrement. C'est un lieu de tourisme assez connu. Mais c’est aussi un endroit qui traduit une réelle fracture sociale. Les grands groupes d’investisseurs hôteliers hollandais côtoient une réalité de jobs étudiants et de débrouille, voire de petits larcins. C’est une région très précaire avec un tourisme à deux vitesses. D’un côté, le tourisme flamand, où se croisent les clichés des sports nautiques et des maisons en bois à l'américaine. De l’autre, il y a les gens du coin, les Wallons, qui trouvent surtout des plages sauvages et détournent un peu ce tourisme parce qu'ils ne s'y sentent pas à leur place. Le lac s'est avéré être un cadre de jeu idéal pour mon histoire.
Comment avez-vous travaillé avec vos acteurs, tous non professionnels?
J’ai travaillé un an avec eux en amont du tournage, en particulier Makenzy et Purdey, et c’est vraiment ce qui a nourri l’écriture. Ils se sont nourris de mon histoire, je me suis nourrie de la leur. Mais il faut dire qu’hormis mon court métrage Makenzy, ils n’avaient aucune réelle expérience de jeu. Il fallait tout reprendre à la lettre A. Ce fut un apprentissage pour eux comme pour moi qui ne vient pas d’une école de réalisation mais d’images où j’ai plutôt été formée à la caméra et à la lumière. On leur a fait faire quelques cours de théâtre mais on a vite arrêté car ils revenaient avec des idées préconçues de jeu alors que ce que j’aime chez eux, c’est leur naturel, leur côté diamant brut. C’était instinctif entre nous.
A noter que Purdey et Makenzy sont de votre famille…
C’est le packaging wallon comme on dit (rires). Purdey est la fille de mon demi-frère et Makenzy est le demi-frère de Purdey. C’est notre petite popote. C’est aussi pour ça que j’ai gardé leurs prénoms. A l’origine les personnages devaient s’appeler autrement mais ils se trompaient tout le temps car ils sont très spontanés. Et donc au bout d'un moment je me suis dit « OK, c'est la petite part documentaire qui va rester ».
Comment avez-vous imaginé cette narration, cette chronique d’un été aux ruptures de ton fortes et surprenantes?
Je pense que ça s'est imposé par notre mode de tournage. Le film a obtenu l'aide à la production légère en Belgique, pour un budget total de moins de 400 000 €. C'était vraiment un très petit budget par rapport à ce qu'on avait à faire et on a très rapidement décidé de ne pas le prendre comme une contrainte mais comme un atout. Il a fallu épurer les choses. Donc je pense que c'est ça aussi qui crée ce côté assez elliptique du film. On a très rapidement pris conscience qu'on n'allait pas pouvoir avoir 20 000 décors, ni une kyrielle de personnages secondaires, ce qui nous a obligé à aller à l'essentiel. Il y a un gros héritage de cinéma social en Belgique mais ce qui m'a toujours un peu dérangé c'est qu'il y a parfois une lourdeur, une noirceur. Je voulais apporter un regard plus frais, faire un film hyper solaire où l’on passe du rire aux larmes. Ces ruptures de ton sont à mon image et à l’image de l’ambition du film qui est une façon de se réapproprier un discours et une réalité sociale. Mais cette précarité n’est pas le sujet, elle est la toile de fond. Ce qui ressort c’est avant tout la relation frère-soeur et ce plafond de verre, très compliqué à briser que j’ai également subi.