À propos de La mer au loin
par Olivier Pélisson
par Olivier Pélisson
Émouvant mélodrame sur l’exil que le second long métrage signé Saïd Hamich Benlarbi. L’humanité touche dans chaque scène, et l’ampleur romanesque emporte, sur les dix années de récit marseillais, entre ici (la France) et là-bas (le Maroc). La richesse et la complexité des personnages font aussi tout le sel de cette fresque, rythmée par les mélodies du raï. La vision d’un cinéaste lucide et mélancolique à la fois, avec une grande générosité.
Entretien avec Saïd Hamich Benlarbi
La première idée remonte à très loin. J’étais étudiant en production à la Fémis. En atelier d’écriture, j’avais imaginé cette histoire d’amour à Marseille autour de jeunes travailleurs immigrés et de la musique raï. J’ai ensuite produit beaucoup de films et, de manière inattendue et très rapidement, j’ai réalisé Retour à Bollène, qui était indispensable pour moi. Puis Le Départ m’a permis de travailler de manière plus réfléchie. J’ai alors repris le projet La Mer au loin. Très vite, le triptyque raï/exil/mélodrame s’est imposé. Mon objectif était très clair, je ne voulais pas faire de grand discours, mais juste toucher du doigt ce sentiment de l’exil et de l’exilé, comportant une part d’insondable, donc de cinématographique.
J’ai eu la chance de travailler avec le chef opérateur Tom Harari qui est un grand cinéphile. Très vite est né ce désir d’assumer le mélodrame en convoquant les œuvres de Fassbinder (Tous les autres s’appellent Ali), Ettore Scola (Nous nous sommes tant aimés) ou Todd Haynes. Nous avons opté pour cette image très contrastée, des cadres travaillés et plus de mouvements que dans mes précédents films, tout en cherchant le plus de fluidité possible autour des personnages. Malgré le romanesque, les plans devaient avoir une raison d’être. Cela résume le travail sur ce film : comment conjuguer l’ampleur et la générosité du récit avec l’épure du point de vue.
Je n’ai jamais fait de musique et c’est un grand regret. La Mer au loin n’a été possible que par l’écoute intensive du raï, avec des chanteurs comme Hasni, Nasro, Fadela, etc. Ce genre musical a été très important pour la communauté maghrébine en France. Il est même devenu une musique de l’exil, en s’exilant lui-même d’Algérie vers la France. C‘était donc très naturel que cette présence mélodieuse et mélancolique accompagne les personnages à différents moments de leur vie, en live ou sur un autoradio.
Pour Serge et Noémie, Anna Mouglalis et Grégoire Colin se sont vite imposés. Ils ont ce truc génial, ce timbre de voix, ce regard plein d’humanité, cette profondeur qui les sort de la norme. Avec quelque chose d’encore rebelle, d’intranquille. Pour Nour, c’était bien plus complexe. Il fallait quelqu’un pouvant évoluer sur dix ans, avec une part candide et lumineuse, mais crédible pour jouer un migrant. Je ne trouvais pas la couleur exacte durant le casting. On m’a alors parlé d’Ayoub Gretaa, présent surtout dans des séries au Maroc. J’ai très vite vu qu’il était très sensible, avec une bonne énergie, pouvant aussi bien danser que regarder, et à l’aise pour jouer en silence. À la fois si jeune et déjà très mature.