À propos de As minhas sensações são tudo o que tenho para oferecer
par Marie-Pauline Mollaret
par Marie-Pauline Mollaret
À quel point pouvons-nous être proche de quelqu’un ? Quelle compréhension et quelle connaissance est-il réellement possible d’avoir les uns des autres ? Avec beaucoup de douceur, d’élégance et d’humour, Isadora Neves Marques met au jour l’impossible complétude entre deux personnes, quels que soient les sentiments qu’elles aient l’une pour l’autre. Dans cette fable intimiste et mélancolique, à la beauté vaporeuse, se dessine l’éternel désir de l’être humain de ne plus être seul avec lui-même.
Entretien avec Isadora Neves Marques
Pourquoi avez-vous choisi de placer ce film dans la continuité de votre précédent film “Becoming a Male in the Middle Ages”?
Laissez-moi vous répondre avec une anecdote. "Becoming Male in the Middle Ages” est un film sur une femme qui finalement décide d’être mère porteuse pour un couple d’amis gay. En répétant avec les acteurs, le cinquième jour je crois, on bloquait sur un détail du personnage dont je ne me souviens pas à la minute ; j’ai donné aux acteurs une nouvelle que j’avais écrite en secret - une histoire qui se passait vingt ans plus tard dans laquelle le bébé dont on parle beaucoup dans le film, est devenue une femme. Surpris, les comédiens ont ri que j’aie mis tant d’effort dans la psychologie et la biographie du personnage, mais la vérité est que quand j’aime un personnage, j’ai du mal à m’en séparer. Après le film, cette histoire m’est restée en tête. Après tout, "Becoming Male in the Middle Ages” parlait de famille et de généalogie, et j’étais curieuse de savoir ce qu’était devenu ce bébé et ce qui était arrivé aux personnages. “My Senses Are All I Have to Offer” n’est pas une suite linéaire - on ne parle pas de la mère porteuse, par exemple - mais quand je me suis rendu compte que Lana, a priori la protagoniste de ce court métrage, est tiraillée entre son désir d'appartenir à cette famille bourgeoise d’artistes et une certaine distance critique entre eux, je savais que je tenais un film. Je suis sûre que ceux qui ont vu le film précédent vont s’amuser avec les détails de continuité, mais puisque les histoires ne s’imbriquent pas complètement l’une dans l’autre, vous n’avez pas besoin de l’avoir vu. En fait, ce qui m’intéresse c’est davantage de créer un univers ou un monde avec lequel je peux jouer que de créer une saga cohérente.
Dans vos films, il y a souvent des éléments de science fiction mêlés à des éléments bien plus classiques et contemporains : qu’est-ce que le genre amène à vos histoires ?
J’ai tendance à raconter des tranches de vie dans lesquelles une apparente normalité est soit perturbée par des conditions anormales qu’on pourrait qualifier de science-fiction, ou qui sont incroyables dès le départ. C’est de la science-fiction naturaliste en quelque sorte. Toutes les décisions artistiques, du scénario à la photographie en passant par le montage, partent de la subtilité de cette prémisse, puisque j’essaye, avec mes équipes, de trouver un équilibre entre le quotidien et le fantastique. Dans le film, la télépathie est l’élément perturbateur. Mais là encore, ce n’est pas simplement parce que je m’intéresse à la télépathie. Ça m'est venue comme un moyen d’exprimer les émotions et les anxiétés des personnages et de travailler sur l’euphémisme, les silences et les humeurs, que ce soit dans l’interprétation, la photographie ou le son. Quand vous êtes intime avec un nouvel amant, ou dans une relation de longue durée avec un partenaire attentionné, ce lien peut s’apparenter à de la télépathie - je voulais me plonger dans cette sensation. Je voulais explorer la beauté et la violence de cette intimité ; quand on brûle d’envie de ressentir ce lien ou au contraire, quand on doit résister et dire “je ne peux pas te laisser entrer maintenant”. C’est peut-être contre-intuitif, mais pour moi, la science-fiction - ou l’imaginaire si vous préférez - est l’endroit idéal pour explorer cette normalité. Mais je suis fan de science fiction, ça aide.
Ce qui est évidemment très émouvant c’est qu'au-delà de la période que nous vivons et des technologies à notre disposition, le lien entre deux êtres humains demeure fragile et incomplet, le désir d’être proche de l’autre est aussi inchangé… Cette (impossible) quête serait-elle inhérente à la nature humaine?
Nous sommes limités par notre subjectivité, à tel point que croire que la personne qui se tient devant vous elle aussi en a une est, fondamentalement, de l’ordre de la croyance. Existentiellement parlant, c’est l’ultime fossé entre les êtres humains. On le ressent très fortement avec un amant, par exemple. S’unir et disparaître en son amour, savoir que cela ne sera pas possible, jamais. Mais dans le film, je voulais aussi aborder le sentiment de vouloir soutenir, comprendre un amant, un père, une mère, sa famille, mais, au final, nous sommes seuls dans notre tête, ce qui naturellement cause des quiproquos. Je sens que c’est ce que Lana et Lourdes commencent à comprendre dans leur couple. C’est une vieille histoire.
Pourriez-vous nous parler un peu de vos choix formels, en particulier la lumière et les cadres?
J’ai décidé une fois encore de proposer à Marta Simões, avec qui j’avais réalisé les deux derniers courts métrages, d’être ma cheffe opératrice. Je savais qu’avec elle on aurait facilement cette atmosphère sensible, naturelle et organique que je recherchais - ainsi que cette approche contre-intuitive à la science-fiction que j’ai. On a de nouveau choisi la pellicule 16mm, Kodak 200T et 250D. On savait qu’il y avait beaucoup de scènes de nuit, sans lumière artificielle, et malgré cela, je demandais aussi peu de grain possible. La préparation a demandé beaucoup d'attention, mais je suis ravie du résultat. Nous avions aussi les scènes de télépathie en flashback, dans lesquelles Lana et Lourdes prennent les pilules sensorielles pour se sentir l’une l’autre et faire l’amour à distance par télépathie. Dans la dramaturgie, je ne voulais pas différencier ces scènes du reste de l’histoire, car je pensais que cela pouvait porter à confusion jusqu’à ce que l’on comprenne la logique du film - ce que j’ai aussi dit à ma monteuse, Margarida Lucas, avec qui je collaborais pour la deuxième fois. On a donc donné à ces scènes un soupçon de distorsion grâce à une lentille anamorphique, qui floute les bords, et augmenté la luminosité. Ensuite, après avoir visité la maison de campagne où se déroule la majeure partie de l’histoire - un haut lieu du patrimoine architectural construit en 1975 par l’architecte Sérgio Fernandez, avec son axe linéaire, deux étages, de grandes fenêtres, et des chambres en alcôves magnifiques, si ce n’est peu commodes dans l’intimité - j’ai accepté son influence sur l’esthétique. Au final, au lieu de plusieurs plans moyens, je savais que la télépathie me demandait de me rapprocher du visage des acteurs. Ça a été un plaisir d’organiser et de répéter ces plans, avec l’équipe qui ne faisait plus le moindre bruit après le mot “Action!”, et de voir les comédiennes jouer leurs répliques silencieuses.