À propos de Contadores
par Thomas Fouet
par Thomas Fouet
Attentif aux gestes du travail et du militantisme, aux visages, à la circulation de la parole, Contadores ravive, dans une reconstitution idéalement minimaliste, une époque déjà lointaine, et enregistre, sans didactisme aucun, un basculement dans l'Histoire du monde ouvrier – qu'il inscrit de surcroît dans le contexte singulier de l'Espagne immédiatement post-franquiste – : le rétablissement, après quelques années d'un fol espoir – celui d'une transformation, non seulement du salariat, mais aussi des structures sociales dans leur ensemble –, d'un rapport de forces en faveur du patronat. Et, comme les ouvrier·ère·s quittent l'ultime plan du film, nous laisse le cœur serré.
Entretien avec Irati Gorostidi Agirretxe
« L’idée de Contadores m’est venue après un projet de recherche que je développe sur un moment clé de l’histoire espagnole contemporaine qu’on appelle “la transition”. Elle a eu lieu dans les années 70 alors que l’Espagne passait de 40 ans de dictatures au système actuel.
Le film se déroule dans une partie de la province de Gipuzkoa, où un important tissu industriel s’est développé pendant le franquisme et qui reposait sur l’organisation autonome du mouvement ouvrier dans les années 70. Pendant quelques années, de larges majorités sociales ont organisé des formes de luttes auto-gérées. Des groupes autonomes, sous le noms de “Komiteak” (les comités) ont vu le jour dans les usines et les quartiers.
Vers la fin des années 70, ces formes d’organisations autonomes ont perdu peu à peu leur soutien, du fait de la légalisation des partis politiques et des syndicats. Une grande partie de la population considérait la politique institutionnelle comme un moyen plus efficace de défendre ses droits et d’influencer la politique sociale. Il faut ajouter à cela la récession des années 80 et l’influence croissante de l’organisation armée ETA, que beaucoup considéraient comme un moyen plus efficace d’atteindre leurs objectifs politiques. C’est dans ce contexte que les formes auto-gérées de lutte sociale ont perdu en soutien jusqu’à être dissoutes. A tel point qu’il n’y a que très peu de traces historiques.
Les protagonistes de Contadores s’inspirent de ceux qui ont défendu ces formes d’organisations au-delà d’un certain point, et qui furent amèrement déçus de l'arrivée de cette transition. Dans le film, je voulais retrouver cette déception comme un point de vue afin de représenter ce moment historique.
J’ai ainsi travaillé avec des personnes qui ont fait partie du mouvement et qui m’ont rejoint dans mes recherches (parmi eux, mes parents et leurs camarades). Ils ont non seulement été des conseillers historiques mais ils ont joué dans le film. J’ai distribué et partagé les documents historiques que j’ai recueillis avec l’équipe technique et artistique, on en a discuté et on a fait des laboratoires à partir de ces matériaux. La réalisation de ce film fut une sorte d’enquête collective et tous les aspects de la production nous ont aidé à approfondir notre compréhension de cet instant.
Je me souviens d’une très belle anecdote que je pourrais qualifier de cette manière: une conversation entre le chef décorateur et moi et mon père et un de ses camarades.
Ils nous aidaient à décorer l’appartement et ceci à fortement contribué à approfondir la complexité qu’on se faisait de ce moment historique. Chaque petit détail symbolisait une intention de rupture: un matelas sur le sol servait de lit, et un canapé ou une pile de livres sur une étagère en brique, dans ce qui était à l’origine la chambre des parents, était transformé en salle de réunion. Il en va de même pour le polycopieur qui leur servait à imprimer leurs pamphlets. Il y eut plein de beaux moments de découvertes comme celui-là pendant la réalisation du film.
Je développe actuellement un long métrage basé sur ces mêmes recherches; Anekumen. Dans la second partie du film, certains membres du comité décident de se joindre à une commune. Contadores fut une extraordinaire opportunité d’esquisser l’univers visuel et les personnages du long métrage, et surtout, de découvrir le potentiel de cette méthodologie d’aborder et de repenser l’Histoire. »